Le sang glisse, le sang lèche la peau, le sang dessine les traits et les défauts du corps… La scène aurait été belle... si seulement ce n’était pas du sang. Si seulement les yeux de la femme ne se vidait pas lentement de leur lueur de vie. Il ferma les yeux, avant que ce spectacle ne s’imprime trop profondément dans sa rétine pour l’oublier. « Petit, la Chine sera pas tendre avec un petit comme toi. Pas plus qu’un des Corée ou le Japon. Faut t’endurcir. »  Il leva les yeux vers l’homme… et ne trouva qu’un visage blasé, fatigué. Cet homme venait de tuer sa mère comme s’il avait tranché un simple bout de poulet. Sans état d’âme. Sans remords. « Tu sais, j’avais pas le choix. C’est ça la justice ! Il le fallait. Elle devenait dangereuse. Bah… attends sagement que ton père rentre. Bouge pas. »

Et l’homme est partit. Est-ce vraiment cela qu’on appelle « Justice » ? Et bien il n’aime pas la justice, alors. Et il ne comprenait pas. Depuis qu’il est tout petit, sa mère n’a cessé de lui répéter que l’on a toujours le choix, quoi qu’on fasse. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait rien du tout. Pourquoi sa mère était dangereuse ? Elle rangeait toujours les couteaux très haut pour que ne pas qu’il puisse les attraper. Elle lui interdisait d’aller trop près du feu. Alors pourquoi elle est dangereuse ?

Il ne comprenait pas alors il attendait. L’homme avait dit qu’il devait attendre son père, là, sans bouger. Il ne peut s’empêcher d’être heureux, car son père, il ne l’avait encore jamais vu. Donc si son père venait, il pourrait enfin le voir. L’homme l’avait dit.

Alors il attendit. Vingt-neuf heures, dans un petit coin de la cuisine, avec en face de lui, sa mère, morte. Il avait peur. Mais il ne devait pas bouger. Il a toujours été un enfant sage. Il a toujours obéit aux adultes et sa mère le félicitait pour ça. Son père n’est jamais venu. Comment le pourrait-il ? Il est enfermé dans une prison pour avoir « organiser un attentat à l’encontre du gouvernement chinois et sud-coréen. » C’était deux mois avant la naissance d’Anyi. Ils ne se sont jamais vus. Sa mère était justement en train de prévoir l’évasion de son mari. C’est pour cela que désormais, le sang ne coulait plus dans ses veines mais à l’extérieur de son corps.

C’est une femme qui est venu le chercher, après ces horribles vingt-neuf heures où il oscillait entre peur, colère et folie. Il pensait qu’elle allait le sauver. Mais ce n’était que pour le mettre dans un nouvel enfer. Elle appelait ça « Le test ». Une fois encore, il ne comprenait pas. On lui disait qu’ils devaient voir si « sa rage était assez forte ». Ils, c’était pleins de gens bizarre. Ils étaient dangereux. Une petite voix dans sa tête le lui disait. Il voulait juste qu’ils le laissent tranquille. Mais pour aller où ? Sa mère n’était plus là. Son père n’était jamais venu. Il était seul… et cela le terrifiait.


Tu comprendras quand tu seras grand . Aujourd’hui, il était grand. Il ne comprenait toujours pas. Il y avait juste la haine en lui. Une haine énorme envers les gouvernements qui ne semblait avoir aucune honte de ses agissements. Cet homme… il allait le retrouver et le détruire. Même si pour cela il devenait devenir comme ce dernier…

Oui, maintenant, il était grand, maintenant il était fort, maintenant il était dangereux… Comme Lui. Mais les choses tournent dans sa tête, bizarrement parfois. On l’a formé à tuer. On l’a formé à nettoyer derrière lui, faire disparaître les preuves. Mais il a encore tellement de questions ! Personne n’est là pour lui répondre. Il ne comprend toujours pas et cela le terrifie aujourd’hui.  Quand va-t-il comprendre ? Peut-être trop tard ? Il a suivit ce chemin car c’est le seul qu’il s’offrait à lui à ce moment-là… et car il avait soif de comprendre. Comment tout cela avait pu déraper ainsi ? Sa mère devait-elle vraiment mourir ? Il aimerait que quelqu’un soit là pour le guider… Et pour l’instant, les seules personnes pouvant jouer un peu près ce rôle, ce sont les Terroristes.

Anyi a été recueilli par eux à ses sept ans… et depuis, il ne les a plus jamais quitté. Il ne connaît rien d’autre.

Anyi est quelqu’un de torturé. Il n’y a pas besoin de le fréquenter longtemps pour comprendre cela. Il doute. Il cherche. Il ne comprend pas. Il panique. Il n’a pas grandit normalement, avec des repères fixes. Il n’a jamais eu de réponses à ses questions. Personne n’a jamais pris le temps de lui faire comprendre des choses basiques. Alors dans sa tête, c’est le capharnaüm. Il vaut mieux ne pas s’y aventurer. Il n’est pas quelqu’un de stable. Il se montre constamment imprévisible, impulsif. On le traite facilement de bipolaire.

Pour espérer qu’Anyi soit efficace pour quoi que ce soit, il faut s’imposer à lui, ne pas lui laisser le temps de se poser des questions. Si on lui donne des ordres claires et précis, alors il devient le plus dangereux et efficace des tueurs. Cela lui donne quelque chose de « stable » à quoi se raccrocher.

Pour lui, la précision est une maladie. Maniaque jusqu’aux bouts des ongles, il aime que ce qu’il fasse soit parfait. Cela peut le rendre fou s’il n’y arrive pas. Cela le rend très méticuleux dans son travail officiel comme officieux. Cela plaît aux gens… Mais à cause de cela, il vit un véritable enfer certains jours. Il ne se donne que très rarement du répit. Dans sa formation, ils ont tout simplement dû oublié de lui apprendre ses propres limites. Après tout, il n’est qu’une simple arme, un pion sans visage…

Si vous croisez Anyi dans la rue, vous verrez quelqu’un de réservé, silencieux. Il n’est pas très à l’aise pour parler aux inconnus. Tout d’abord car il n’est pas encore des plus à l’aise en coréen. Sa langue natale, le mandarin, est encore trop ancrée en lui pour qu’il s’habitue à cette nouvelle langue.

Pour se calmer… Anyi a une solution magique. La musique. Ce qui explique tout simplement son métier : violoniste. Il éprouve une passion sans borne pour les violons. Les notes ont l’effet d’un tranquillisant. Il s’abandonne à la musique. Il ne réfléchit plus et se laisse porter. C’est peut-être pour cela qu’il aime  la musique, il n’y pas de questions qui viennent encombrer son esprit. C’est une manière pour lui de s’exprimer sans buter sur les mots ou des gestes. Car l’affection qu’il peut porter envers quelqu’un… il ne sait pas le montrer. Il est maladroit. Il ne sait pas faire de câlin sans tendre de nervosité tout son corps. Oui… peut-être qu’au final, Anyi n’est qu’une bombe à retardement.